De la ``politique littéraire'' à la littérature sans politique? Des relations entre champs littéraire et politique en France
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De la “politique littéraire”
d’abord un écrivain reconnu comme tel, qui met au service du Parti communiste le capital
symbolique acquis comme écrivain, sans donc qu’il puisse être réduit à l’illustrateur littéraire de « la ligne du parti ». Encore faudrait-il préciser que sa position de ce point de vue évolue au gré des reconfigurations politiques et littéraires 8 . On peut, de l’autre côté de l’échiquier politique, faire un constat analogue à propos d’André Malraux, qui acquiert la reconnaissance littéraire en même temps qu’il s’engage publiquement comme intellectuel « libre » dans l’entre-deux-guerres, puis met son crédit en même temps que ses compétences intellectuelles et oratoires au service de l’entreprise gaulliste, au sein du Rassemblement du peuple français (RPF, le parti du général de Gaulle) après la seconde guerre mondiale, puis comme premier ministre des Affaires culturelles lors du retour de de Gaulle au pouvoir, de 1959 à 1969. On se rapproche en fait avec ces deux exemples du troisième type de rapport littéraire au politique, qui correspond à la logique de l’engagement intellectuel rappelée précédemment. Celui-ci tente d’échapper à l’alternative du repli puriste et de l’inféodation partisane, en inscrivant l’activité politique dans la logique et la continuité de l’activité littéraire. En tant qu’ « inventeur » ou au moins représentant historiquement décisif de cette politique littéraire, Zola en constitue la figure quasi éponyme. Il ne s’agit pas dans ce cas de faire de la littérature d’un point de vue politique. Il s’agit en revanche d’accéder à la parole publique et d’obtenir la légitimité à intervenir dans le débat public grâce à la reconnaissance préalablement acquise comme écrivain, voire au nom de cette reconnaissance même. C’est de cette manière que la contradiction entre l’autonomie de l’écrivain (et du champ littéraire) et son engagement politique peut être résolue : l’autonomie est dans ce cas une condition de l’engagement public puisque ce n’est que grâce à elle que peut s’obtenir la reconnaissance en tant qu’écrivain qui constitue le préalable à la légitimité de sa parole publique. Car pour que des écrivains (et plus largement les intellectuels) puissent prétendre parler de politique en invoquant des causes et des valeurs (universelles), il leur faut auparavant en acquérir le droit dans leur travail d’écrivain et sa reconnaissance. Qu’une activité littéraire reconnue permette de défendre les idéaux de liberté ou de justice n’a certes rien d’évident, mais c’est précisément le produit, en partie spécifique à la France, de l’histoire littéraire et politique évoquée plus haut. 7 Ioana Popa, « Le réalisme socialiste, un produit d’exportation politico-littéraire », Sociétés et représentations, 15, 2002, p. 261-292. 8 Philippe Olivera, « Le sens du jeu. Aragon entre littérature et politique (1958-1968) », Actes de la recherche en sciences sociales, 1996, 111-112, p. 76-84. 7 Reste alors à spécifier sinon les orientations au moins les formes que peut revêtir cette politique littéraire, et leur mode d’articulation. On se contentera de quelques indications à ce propos. Elle peut concerner le contenu même de la production littéraire 9 , comme L’insurgé de Jules Vallès à propos de la Commune. Elle peut consister en la publication d’ouvrages qui ont un statut particulier dans l’œuvre de l’auteur, un témoignage ou un essai pour un romancier par exemple. Encore cela ne vaut-il pas nécessairement engagement politique stricto sensu, comme le montre André Gide en dénonçant le colonialisme dans son Voyage au Congo sans pour autant s’exprimer politiquement par ailleurs. Les prises de positions publiques, pétitions, articles de presse, interviews, conférences, participation à des mobilisations collectives et soutiens divers comptent parmi les principales autres modalités pratiques de cette politique littéraire. Rapporté aux caractéristiques des auteurs et à l’état des rapports de force au sein des champs littéraire et politique, leur agencement offre une première manière de se repérer dans les manières de faire de la politique en littérateur. Si ce premier repérage est nécessaire, il n’épuise cependant pas la question de savoir comment la littérature devient politique. Il faut ici encore sortir du contenu manifeste des œuvres ou des intentions explicites de leur auteur pour le saisir, ce qu’on peut faire de deux manières principales. Le sens politique d’une œuvre ne se comprend tout d’abord qu’en contexte. C’est en effet la situation politique et littéraire qui confère ou non sa charge politique à la production littéraire. Sans doute le meilleur exemple de ces logiques historiques de politisation est-il donné par la vie littéraire française pendant la seconde guerre mondiale telle que l’a étudiée Gisèle Sapiro 10 . On y trouve des collaborateurs et des résistants qui les uns et les autres associent explicitement leur activité littéraire à leur position politique, Brasillach ou Céline en publiant dans la presse collaborationniste, Aragon, Eluard ou Druon s’engageant dans la résistance tout en continuant à écrire tandis que d’autres, comme René Char, arrêtent de publier pendant l’occupation allemande. Tout cela est important et bien connu, mais en rester là conduirait à oublier que les caractéristiques de la période confèrent à toute attitude littéraire un sens politique. Qu’ils le veuillent ou non et quoiqu’ils fassent, les écrivains sont alors rattrapés par 9 Gisèle Sapiro, « Pour une approche sociologique des relations entre littérature et idéologie », COnTEXTES [En ligne], 2, 2007. 10 Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains, 1940-1944, Paris, Fayard, 1999. 8 la politique, car dans un tel contexte la recherche formelle et le retrait hors du monde sont, par le refus de considérer la réalité politique, encore une manière de se situer politiquement. L’hypothèse de la « surpolitisation » formulée par Gisèle Sapiro ne s’applique par définition qu’à des configurations bien particulières, comme par exemple les crises politiques ; mais elle invite plus généralement à s’intéresser à l’effet des configurations historiques sur les conditions de politisation de la littérature. Car ces effets sont loin d’être prévisibles et univoques. Dans son enquête sur les écrivains français en Mai 1968, Boris Gobille montre ainsi que la situation de crise affecte la valeur des marqueurs politiques dans le champ littéraire. Elle fragilise la position dominante de groupes qui, comme Tel Quel, sont ralliés à l’orthodoxie du PCF, relégitime au contraire des avant-gardes sur le déclin, comme le surréalisme, et favorise la création d’un nouveau pôle d’avant-garde plus en phase avec les mots d’ordre de créativité profane et spontanée 11 . Il montre ainsi comment la politisation de la littérature, même en temps de crise, ne saurait se comprendre en la référant seulement aux enjeux du champ politique du moment, mais s’inscrit inévitablement dans les enjeux internes au champ littéraire, associant même prise de positions politiques et défense des intérêts professionnels 12 . S’il faut donc prendre en considération le « contexte historique » 13 pour comprendre les conditions de politisation de la production littéraire, il faut également décentrer le regard et ne pas le porter exclusivement sur les auteurs et leurs œuvres, mais aussi sur les modes de diffusion et de réception de la littérature. Roger Chartier a montré que la diffusion de textes mineurs a sans doute beaucoup plus fait pour la désacralisation de l’Ancien régime et le déclenchement de la Révolution française que les œuvres maîtresses de la philosophie des Lumières 14 . Les modes de diffusion peuvent en eux-mêmes constituer des conditions déterminantes de la politisation. C’est ce que révèle par exemple Ioana Popa dans son étude des traductions françaises d’œuvres des pays du bloc soviétique 15 . Les caractéristiques des 11 Boris Gobille, « Les mobilisations de l’avant-garde littéraire française en mai 1968. Capital politique, capital littéraire et conjoncture de crise », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, dossier « Le capital militant (2). Crises politiques et reconversions : Mai 68 », n°158, juin 2005, pp.30-53. 12 Boris Gobille, Crise politique et incertitude : régimes de problématisation et logiques de mobilisation des écrivains en mai 1968, thèse de doctorat, Paris, EHESS, 2003. 13 Ce qu’en toute rigueur on devrait plutôt désigner comme l’état à un moment donné des rapports entre champs politique et littéraire en fonction des rapports internes à chacun de ces deux champs. 14 Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, 1990. 15 Ioana Popa, La Politique extérieure de la littérature. Une sociologie de la traduction des littératures d'Europe Download 308,26 Kb. Do'stlaringiz bilan baham: |
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