André maurois


Download 0.74 Mb.
bet21/53
Sana14.12.2022
Hajmi0.74 Mb.
#1005965
1   ...   17   18   19   20   21   22   23   24   ...   53
Bog'liq
André Maurois nouvelles

* * *
Trois mois plus tard, le livre parut.
La presse ne fut pas mauvaise. Chalonnes était trop sympathique à tous pour qu’on voulût lui faire une peine inutile. Les critiques amis citèrent le livre discrètement, les autres se turent.
Mais la critique orale se fit avec une brutale rapidité. Pendant quelques jours je ne pus rencontrer personne qui ne me dît: „Et Chalonnes? Avez-vous vu ça? Ce n’est pas permis!..“ En un mois tout Paris sut, sans avoir lu, qu’il était inutile de lire. Aux devantures des libraires, les belles couvertures jaunes devinrent citron pâle, puis noircirent lentement. A la fin de l’année l’édition presque entière était revenue chez l’éditeur, qui perdait sa mise[200] et que Chalonnes accusait de l’avoir volé.
Car l’insuccès l’avait beaucoup aigri. Il divisait maintenant l’humanité en deux classes: „Ceux qui ont été bien pour mon livre“. — „Ceux qui n’ont pas été bien pour mon livre“. Cela rendait la vie sociale très difficile. Quand on voulait organiser un dîner:
—Pas celui-là, disait Chalonnes. Je ne puis le souffrir.
—Pourquoi? disait Fabert. Il a beaucoup d’esprit et il n’est pas méchant.
—Lui? disait Chalonnes. Il ne m’a même pas écrit pour mon livre.
Cet homme si modeste et si agréable était devenu d’une vanité insupportable. Il avait toujours dans sa poche un entrefilet élogieux, que j’avais obtenu à grand-peine, et il le lisait aux gens qu’il rencontrait. Quand un critique énumérait les romanciers de talent de notre génération il s’étonnait, de ne pas trouver son nom: „Ce Bidou[201] est un misérable!“ disait-il. Ou bien: „Je n’aurais pas cru ça de Jaloux…“[202] Bientôt, comme les fous qui, après avoir accusé tout le quartier de les persécuter, finissent par voir des ennemis en leur femmes même et en leurs enfants, il s’avisa que les Cinq n’avaient pas été vraiment bien pour son livre et il s’éloigna lentement, de nous.
Peut-être, dans un milieu nouveau, moins informé, trouvait-il encore cette confiance respectueuse et gratuite que nous lui avions si longtemps accordée. Trois fois de suite, il manqua à nos réunions. Beltara lui écrivit et ne reçut pas de réponse. Enfin il lui décidé que je serais envoyé auprès d lui comme ambassadeur des Quatre.
—Parce qu’en somme, le pauvre bougre, disions-nous, ce n’est tout de même pas sa faute s’il n’a pas de talent.
Je le trouvai chez lui et il me reçut, mais avec beaucoup de froideur.
—Non, non, me dit-il, la vérité est que les hommes sont infects et que vous ne valez pas mieux que les autres. Tant que j’ai été pour vous un conseiller, un admirateur béat, vous avez été mes amis. Dès que j’ai voulu produire moi-même, dès que toi surtout, tu as senti en moi un rival possible, tu as fait le silence autour de mon œuvre.
—Moi? lui dis-je. Si tu savais au contraire le nombre des démarches que j’ai faites pour toi…
—Oui, je sais comment on enterre les gens en ayant l’air de les encenser…

—Mais, bon Dieu, Chalonnes! Tu es tout de même trop injuste. Souviens-toi du jour où tu es venu me raconter que tu allais partir pour La Napoule, que tu voulais enfin travailler. Tu hésitais, tu n’étais pas en forme; si je t’avais retenu, tu restais. Mais je t’ai, au contraire, encouragé, félicité…
—Justement, dit-il. Et c’est ce que je ne vous pardonnerai jamais à Gladys Pecks et à toi.
Il se leva, alla vers la porte, l’ouvrit pour me montrer que l’audience était terminée et me fit sortir sur ce mot admirable:
— Vous m’avez fait gâcher ma carrière.
** *
—Et le plus beau, dit alors Beltara, le plus beau, c’est que cela était vrai.

Download 0.74 Mb.

Do'stlaringiz bilan baham:
1   ...   17   18   19   20   21   22   23   24   ...   53




Ma'lumotlar bazasi mualliflik huquqi bilan himoyalangan ©fayllar.org 2024
ma'muriyatiga murojaat qiling