À propos de Simone de Beauvoir Table des matières: Introductive


Partie 2. Le Deuxième Sexe et les sciences


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À propos de Simone de Beauvoir

Partie 2. Le Deuxième Sexe et les sciences
2.1. Enfance et existence
L’introduction du premier livre du Deuxième Sexe peut être conçue comme une réduction de type phénoménologique au sens où elle met en lumière le fondement à partir duquel l’analyse de Beauvoir, qu’elle sert à présenter, est menée. Cette analyse vise à montrer comment la signification de la féminité et de l’être des sexes est interprétée par les discours scientifique, historique, mythique et littéraire, et comment elle se constitue dans l’expérience vécue des femmes. Comme l’écrit Beauvoir, son but est d’étudier « les points de vue pris sur la femme par la biologie, la psychanalyse, le matérialisme historique », ainsi que le mythe de l’éternel féminin, afin de comprendre comment la femme est l’Autre par rapport à l’homme 
Les analyses de la biologie, de la psychanalyse et du matérialisme historique que Beauvoir propose conduisent à la conclusion qu’aucun de ces cadres théoriques, pris en eux-mêmes, ne peut expliquer comment la hiérarchie entre les sexes a été instaurée.
En vérité, les faits que les sciences fournissent doivent être compris selon la perspective de la situation existentielle globale de l’individu Pour Beauvoir, cela implique d’étudier objectivement le sens de la différence sexuelle, tout à la fois selon les perspectives qu’offrent la science, l’histoire, et ce qu’elle considère être un imaginaire androcentré, selon la perspective de l’expérience vécue des femmes. Beauvoir explique la corrélation entre ces points de vue :
« Sous-tendant les drames individuels comme l’histoire économique de l’humanité il y a une infrastructure existentielle qui permet seule de comprendre dans son unité cette forme singulière qu’est une vie.
Elle marque aussi, avec insistance, que les interprétations théoriques des « faits » concernant les sexes et leurs relations doivent être articulées sur le point de vue qui est attentif à la façon dont ces faits sont singularisés et concrètement vécus par les individus particuliers.
Comme on le sait, Beauvoir a une attitude ambivalente vis-à-vis de la psychanalyse.
Découvrir Cairn-Pro11D’un côté, elle considère que la psychanalyse freudienne repose sur des suppositions philosophiques confuses. Outre la méfiance globale qu’elle éprouve vis-à-vis de la conception déterministe de la sexualité que propose la psychanalyse en tant que science, et qu’elle partage avec Sartre et Merleau-Ponty, elle juge défectueuse la théorie freudienne de la sexualité et de l’érotisme féminins.
Sa critique fondamentale dénonce le fait que Freud échoue à expliquer comment les valeurs sont engagées dans la sexualité, en particulier, il ne peut expliquer l’origine de l’autorité patriarcale. Du même coup, la psychanalyse modèle le destin psychosexuel de la femme sur celui de l’homme. Pour donner un seul exemple venant illustrer cette dernière affirmation, je pourrais me référer à la description que propose Freud, dans sa conférence sur la féminité (1932), des premiers moments du développement sexuel des filles. Il établit alors que l’observation analytique — entreprise à l’origine par des psychanalystes femmes — ne révèle aucune différence significative entre le comportement pré-œdipien masculin et féminin, et en conclut que la « petite fille est alors un petit homme.
Beauvoir envisage plus favorablement la psychologie néo-freudienne d’Alfred Adler, qui minimise l’importance du rôle exclusif de la sexualité quand il s’agit d’expliquer le comportement humain, et qui considère que la sexualité devrait être intégrée dans la personne globale, c’est-à-dire en prenant en compte ses buts, ses fins et ses intentions Toutefois, aucune de ces explications du comportement humain n’est suffisante : Adler, soutient-elle, retient l’idée freudienne de la causalité psychique aussi bien que sa compréhension mécaniste des pulsions, et partage la proposition psychanalytique générale selon laquelle « l’histoire humaine doit être expliquée par l’interaction d’éléments déterminés », qu’il s’agisse de pulsions incompatibles, ou de buts, fins et intentions.
Selon Beauvoir, le problème fondamental de telles explications est qu’elles ne prennent pas en considération l’unité de la vie psychique, et sa source, qui réside dans une intentionnalité originelle de l’existence. Aussi rejettent-elles systématiquement l’idée de choix et son concept corrélatif de valeur.
Dans une perspective existentielle, les valeurs sont engagées dans la sexualité, et bien que celle-ci soit toujours présente dans les relations d’un existant avec le monde et les autres, il y a chez les êtres humains une « recherche de l’être » plus originelle, dont la sexualité est un aspect : l’individu éprouve un intérêt premier pour le monde, et cet intérêt n’est pas explicable par la sexualité. Nos modes de découverte du monde par le travail, le jeu et l’imagination sont aussi originels que nos modes sexuels de relation au monde.
De l’autre côté, et en dépit de cette attitude critique, Beauvoir met l’accent sur ce qu’elle considère être l’« immense progrès » de la psychanalyse sur la psychophysiologie : « qu’aucun facteur n’intervient dans la vie psychique sans avoir revêtu un sens humain. Avec une implicite mais claire référence à la phénoménologie, elle ajoute que ce n’est pas le « corps-objet » de la science biologique qui existe, mais le « corps vécu par le sujet » En d’autres termes, ce qui est crucial pour la compréhension de la féminité et de la masculinité, c’est l’expérience vécue des individus plutôt que des caractéristiques objectives, biologiques ou psychologiques, qui ne peuvent pas faire partie de cette expérience. Beauvoir semble suggérer que cette conviction est quelque chose que la psychanalyse partage avec la philosophie phénoménologique.
D’un point de vue plus positif, Beauvoir réinterprète et complète les descriptions freudiennes du développement psychosexuel de la personnalité des femmes à la lumière de la phénoménologie existentielle. Avant tout, elle s’accorde avec Freud pour penser que la féminité n’est pas un mode statique d’être mais un mode dynamique de devenir. Au cours de la conférence publique sur la féminité, tenue en 1932, que nous avons déjà évoquée, Freud déclarait que la psychanalyse ne cherche pas à expliquer ce qu’une femme est, mais s’attache à expliquer comment une fille, un enfant originellement bisexuel selon la théorie de Freud, devient une femme à travers les pertes et les substitutions d’objets d’amour.
De même, l’établissement de la personnalité masculine est un processus, moins complexe cependant que dans le cas des femmes. Freud pense aussi que la psychanalyse ne peut résoudre l’« énigme de la féminité » jusqu’à ce que la biologie explique la différenciation générale des organismes vivants en deux sexes. Comme en réponse à cela, l’étude par Beauvoir de la biologie dans Le Deuxième Sexe montre de manière intéressante qu’il n’y a pas toujours une nette division en deux sexes d’une espèce. Du point de vue de la biologie, soutient-elle, l’unité homme-femme est considérée comme un mode fondamental de l’existence intersubjective, et comme un élément décisif dans la collectivité. Cependant, dans l’introduction du premier livre, elle fait intervenir le concept heideggérien du Mitsein afin de décrire la signification existentielle du couple pour l’altérité de la femme. Dans le couple, la femme est l’autre dans une totalité fondée sur une nécessité biologique (procréation), mais la biologie en tant que science ne bénéficie d’aucune autorité privilégiée quant à la compréhension du sens vécu de cette altérité.
La phrase la plus célèbre de Beauvoir sur le devenir féminin, « on ne naît pas femme:on le devient », apparaît au tout début du chapitre sur l’enfance et introduit sa réinterprétation du drame œdipien.
Cette réinterprétation suggère que le devenir que Beauvoir a en tête est fondé sur et doit être compris en référence aux expériences personnelles et historiques de l’affectivité et du désir, et que ces expériences sont sexuellement différenciées. De plus, puisqu’elle considère chaque destin psychosexuel singulier, qu’il soit masculin ou féminin, du point de vue de la liberté et du choix en situation plutôt qu’en prenant en compte l’effort, commandé par la nature et l’instinct, en vue de satisfaire les besoins biologiques et émotionnels, son interprétation n’implique nul présupposé naturaliste ou déterministe.
Le point de départ de l’analyse de Beauvoir réside dans ce qu’elle considère, dans la perspective de la philosophie française de l’existence, un fait ontologique : « la tendance du sujet à l’aliénation 
Cette tendance est motivée par l’angoisse qui conduit les sujets à se rechercher dans les choses, et est comprise comme une recherche de complétude, de réalité ou d’« être ». Bien évidemment, l’enfant vit ce drame plutôt qu’il ne le pense : d’une manière charnelle, l’enfant découvre la finitude, la solitude et l’abandon dans un monde étrange.
Immédiatement après le sevrage, autrement dit lorsque l’enfant est séparé du « Tout » (le corps maternel), son existence aliénée est confiée au regard des autres, au sens où la séparation est compensée par la projection de son existence dans une image. Avec une référence explicite aux premiers ouvrages de Jacques Lacan, Beauvoir remarque que cette affirmation de l’identité semble coïncider avec la reconnaissance par l’enfant de son image dans un miroir. Beauvoir soutient que le moi de l’enfant ne devient pleinement identifié qu’avec cette image réfléchie, qui n’est formée qu’en étant projetée. Le manque d’être de l’enfant étant ontologique, l’aliénation se prolonge dans la vie adulte : hommes et femmes projettent leur existence dans « leur âme individuelle, leur moi, leur nom, leur propriété, leur ouvrage.
Selon Beauvoir, le pénis est singulièrement propre à jouer le rôle de « double » pour le petit garçon, parce qu’il est à la fois lui-même et un objet étranger : « c’est un jouet, une poupée et c’est sa propre chair [...] une source capricieuse, quasi étrangère d’un plaisir subjectivement ressenti À mi-chemin entre le volontaire et l’involontaire, le pénis rend le petit garçon capable d’intégrer sa transcendance à son individualité subjective, ou « la vie qui le déborde.
Ibid. ». L’incarnation du petit garçon dans le phallus est, du point de vue de Beauvoir, une constante au même titre que son être frustré de sa transcendance par son père, sur quoi s’articule le complexe de castration masculin 
Il n’en reste pas moins que Beauvoir insiste à plusieurs reprises pour dire que ces constantes ne dictent pas une destinée fixée une fois pour toutes, mais qu’elles doivent être comprises en situation : « le phallus prend tant de valeur parce qu’il symbolise une souveraineté qui se réalise en d’autres domains.
Elle affirme cela de manière encore plus explicite : « Ce n’est qu’au sein de la situation saisie dans sa totalité que le privilège anatomique fonde un véritable privilège humain. La psychanalyse ne saurait trouver sa vérité que dans le contexte historique.
Très souvent, dans Le Deuxième Sexe, Beauvoir veille à donner à de telles propositions générales une signification plus concrète. Elle avance, par exemple, que le sentiment de fierté éprouvé par le petit garçon à l’égard de son sexe est, à l’origine, suscité par les adultes qui prennent soin de lui : « Mères et nourrices perpétuent la tradition qui assimile le phallus et l’idée de mâle.
La situation de la fillette est très différente. Mères et nourrices, remarque Beauvoir, ne font preuve ni de révérence, ni de tendresse pour ses parties génitales ; elles ne flattent aucun sentiment de fierté chez la petite fille, ou n’attirent guère son attention sur cet « organe secret » ; ce qui a pour conséquence qu’« en un sens, elle n’a pas de sexe.
Cependant, du point de vue de Beauvoir, la fille n’expérimente pas nécessairement cette absence anatomique comme un manque ; son corps est, pour elle, pleinement achevé. Ce qui est déterminant c’est qu’elle est située dans le monde différemment que le garçon : la fillette ne peut incarner sa subjectivité dans aucune partie d’elle-même, elle ne possède pas cet alter ego que constitue le pénis pour le petit garçon, et ne peut donc recouvrer son intégrité de la même manière. À titre de compensation, et pour que ça lui serve d’alter ego, on lui a donné un objet étranger : une poupée.


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