André maurois
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André Maurois nouvelles
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—Les avez-vous revus? demanda Claire Ménétrier. —Attendez, dit Bertrand Schmitt… Deux ans plus tard, en 1940, ayant été mobilisé comme officier, je retrouvai Dugas, capitaine, à la popote d’un général de division coloniale, sur le front des Flandres[304]. Il me parla de ce terrible voyage: „Vous l’avez échappé belle, dit-il. Votre pilote m’a raconté toute l’histoire… Il était furieux contre le patron auquel il avait, avant le départ, prédit la catastrophe“. Après un instant de silence un peu lourd, Dugas ajouta: — Dites-moi, mon cher Maître, que s’était-il passé ce jour-là? Personne ne m’en a dit un mot, mais l’ombre d’un drame semblait s’étendre, lorsqu’ils sont rentrés, sur le Gouverneur, sur sa femme, et sur le colonel Angelini… Vous savez que le colonel a demandé son changement [305], peu de temps après, et l’a obtenu?.. Ce qui m’a surpris, c’est que le patron l’a fortement appuyé. —Pourquoi surpris? —Je ne sais pas… Il l’estimait beaucoup… Et puis j’aurais cru qu’on chercherait à le retenir. —On?.. Vous voulez dire Giselle? Dugas me regarda très attentivement: —Elle a été la plus acharnée à le faire partir, dit-il. —Et qu’est-il devenu, Angelini? —Colonel plein[306], naturellement. Il commande un régiment de chars légers. Vint la débâcle. Cinq ans de luttes, d’angoisses et d’espoirs. Puis je vis, comme vous, Paris reprendre sa vie. Vers le début de 1947, Hélène de Thianges un jour me demanda: —Aimeriez-vous déjeuner avec les Eric Boussart? On dit qu’il va être nommé résident général en Indochine… C’est un homme remarquable, un peu froid, très cultivé. Savez-vous qu’il a publié, l’an dernier, un volume de vers sous un pseudonyme?.. Sa femme est belle. —Je la connais, dis-je. J’ai fait, avant la guerre, une escale chez eux, au temps où il était gouverneur quelque part en Afrique noire… Oui, je serais curieux de les revoir. Je me demandai s’ils seraient, eux, heureux de cette rencontre. N’étais-je pas le seul témoin de ce qui avait été, sans doute, le grand drame de leur vie? Pourtant, par curiosité, j’acceptai le déjeuner. La guerre et les malheurs m’avaient-ils si fort transformé? Les Boussart ne me reconnurent pas tout de suite. J’allai à eux, mais comme ils regardaient Hélène de cet air interrogateur et poli qui semble implorer un éclaircissement, elle me nomma. Le visage fermé du Gouverneur s’éclaira et sa femme sourit: —Bien sûr, dit-elle. Vous étiez chez nous, en Afrique? Elle fut, à table, ma voisine. Je marchai parmi ses pensées[307] comme on chemine sur la glace, en sondant prudemment les résistances. Enfin, la voyant tout à fait sereine et apaisée, je me hasardai à rappeler la tornade sur le delta. —C’est vrai, dit-elle, vous étiez de cette absurde expédition… Quelle aventure! Nous avions bien failli tous y rester. Elle s’arrêta un instant parce qu’on lui présentait un plat, puis continua, d’un ton naturel: —Mais alors vous aviez connu chez nous Angelini… Vous savez qu’il a été tué, le pauvre garçon? —Non, je l’ignorais… Pendant cette guerre? —Oui, en Italie… Il commandait une division à la bataille du Monte Cassino[308] et il y est resté… C’est dommage, il avait un grand avenir… Mon mari l’estimait beaucoup. Je la regardai avec surprise, me demandant si elle était consciente de étonnement où me jetait cette phrase. Elle avait l’air innocent, détaché, décemment triste, que l’on prend en parlant de la mort d’un étranger. Alors je compris que le masque avait été remis en place si solidement qu’il était devenu le visage même. Giselle avait oublié que je savais. Download 0.74 Mb. Do'stlaringiz bilan baham: |
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